"Histoire de Terra Amata" par Jacques Médecin - ancien maire de Nice

[...]Si Nice a des histoires attachantes, elle est aussi un peu à l’origine de l’histoire tout court. De celle de l’espèce humaine : je venais à peine d’être élu maire de la ville (le 11 février 1966) qu’on me présenta un dossier singulier : en procédant aux fouilles de fondations d’un immeuble, sur la Basse Corniche, les ouvriers avaient mis au jour un gisement préhistorique qui semblait riche de promesses. L’endroit s’appelle Terra Amata, Terre aimée. Le premier acte administratif que j’eus à accomplir fut d’arrêter le chantier, car toute manœuvre intempestive pouvait menacer le gisement. Arrêter un gros chantier de promoteur, pour un maire nouvellement élu, n’est pas particulièrement agréable. D’autant plus que le promoteur faisait face à de grosses difficultés (il ne devait pas tarder à faire faillite, d’ailleurs). Ce fut le début d’une série de problèmes, voire de drames, mais je tins bon : je réussis à stopper les travaux pendant les six mois nécessaires aux archéologues et aux préhistoriens, dirigés par H. de Lumley, pour mener à bien leurs fouilles et compléter leurs observations.

La région de Nice est d’une très grande richesse du point de vue préhistorique : ce fut un des berceaux des civilisations les plus anciennes dont nous ayons trouvé des traces.

La grotte du Vallonnet à Roquebrune-Cap-Martin abrite les plus vieux prestiges d’outils retrouvés à ce jour en Europe, et l’origine de l’apparition de l’homme a pu être reculée à une période aussi ancienne qu’en Afrique orientale. La présence de ces outils ainsi que d’autres vestiges découverts dans la grotte du Vallonnet ont permis de reconstituer la vie des premiers hommes qui ne savaient pas encore allumer le feu mais qui vivaient déjà en groupe. Ainsi se trouve confirmée l’affirmation de Bergson selon laquelle l’Homo Faber a précédé l’Homo Sapiens. Le département des Alpes-Maritimes abrite d’autres lieux qui permettent de situer les grandes étapes de l’évolution humaine et qui font de notre région un site préhistorique remarquable. L’apparition des premières techniques de conservation et du jaillissement de la flamme, la création d’un habitat plus évolué, l’ensevelissement des morts, la naissance d’une forme d’art, l’aménagement des premières cités néolithique et tous les grands moments de l’histoire de l’humanité, ont pu être reconstitués dans des grottes ou des sites maintenant connus dans le monde entier : la cabane du Lazaret, la grotte de Pié Lombard, les grottes de Grimaldi et la vallée des Merveilles.

Les découvertes de Terra Amata, dans le tissu urbain de la ville, allaient encore accroître nos connaissances : les préhistoriens se trouvaient face à vingt et une couches successives d’habitat, étalées sur près de 250 siècles – chaque couche représentait en gros mille années. Cette fouille apporta la preuve que l’homme savait faire du feu il y a 400 000 années, alors que jusqu’alors les plus anciennes traces de feu, découverte en Hongrie et en Chine, ne remontaient qu’à 350 000 ans.

Terra Amata a fait faire à la connaissance de l’homme préhistorique un bond de cinq cent siècles. Aujourd’hui, chacun peut contempler dans le musée aménagé à l’intérieur de l’immeuble ces vestiges uniques, y compris, non loin du foyer, l’empreinte d’un pied dans le sable, qui est le plus ancien signal que nous aient laissé nos ancêtres (à l’époque, Terra Amata était une plage). Pour faire du feu, l’homme était nécessairement intelligent. C’est ce qui m’a permis, en posant la première pierre de Terra Amata de souligner cette coïncidence : le plus ancien des hommes intelligents connu jusqu’à ce jour était Niçois. (Je laissais aux assistants le soin de décider s’il était venu à Nice parce qu’il était intelligent, ou s’il était intelligent parce que Niçois). En tout état de cause, les découvertes de Terra Amata, par la perspective qu’elles ouvrent, scellent l’alliance unique de Nice avec l’Histoire. [...]

Extraits de « Nice : onze ans de vie commune », par Jacques Médecin

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