Pr Ali Benmakhlouf : "La bioéthique a de beaux jours devant elle"

Dans le cadre de ses conférences mensuelles, "Actu-Philo" au Centre Universitaire Méditerranéen, le philosophe Daniel Lance recevait, le 7 avril dernier, le Professeur Ali Benmakhlouf sur le thème : "Question bioéthique : soins paliatifs", Nice en Mouvement est allé à sa rencontre…

NeM : Bonjour Professeur, vous venez d’animer une conférence sur la bioéthique dans le cadre des actu-philo animé par Daniel Lance. Quels sont à vos yeux les points fondamentaux sur lesquels doivent reposer le débat éthique ?

Pr Ali Benmakhlouf : Une réflexion toujours renouvelée sur l’article 16 du Code Civil qui dit qu’il y a une inviolabilité du corps humain. Parce qu’à partir de cet article on voit que ça pose la question du don d’organe, qui est maintenant, et qui doit continuer à être très encadré par la législation pour éviter les trafics en toute sorte qui malheureusement fleurissent, comme vous le savez, sur Internet. Donc cet article, qui dit toujours la non patrimonialité du corps, permet également de poser la question de l’inviolabilité de la dignité humaine –parce que là c’est un interdit fondateur de la vie en société.

L’article 16 également dit respect pour la personne humaine, cela met comme vous dites en débat éthique la définition, ou la non définition, de ce qu’est une personne humaine. Quel est le cas que l’on peut avoir parfois à ne pas définir pour ne pas durcir en mots les sens de la personne. Donc si vous voulez cet article 16 reste un point d’ancrage de la réflexion de la bioéthique un point d’ancrage important.

Second volet – pas juridique – il est du côté des avancées techniques et ce que l’on peut faire de plus en plus. Il y a je le disais au cours de la conférence cet exemple autour du cœur arrêté –autour de la circulation extracorporelle qui permet d’oxygéner les organes – ça résout en quelque sorte un problème : celui de continuer à oxygéner les organes, mais ça en pose un autre sur une incertitude quand aux critères de la mort. Donc on voit très souvent en bioéthique qu’une question scientifique résolue débouche sur une énigme éthique. Et il y a toujours ainsi comme un relais énigmatique d’une solution scientifique, et c’est le champ de la bioéthique qui se déploie ainsi.

Donc un premier volet juridique inépuisable de réflexions, un second volet inépuisable aussi, parce que les avancées techniques c’est tous les jours et un troisième volet du côté de ce que l’on pourrait appeler la place de l’homme dans la société et plus généralement quand même dans l’univers. Vous savez que l’on parle de plus en plus de la biodiversité et entre de plus en plus dans les questions de bioéthique les questions de la biodiversité. Et on se rencontre que notre santé engage une réflexion sur l’environnement. Une grande polémique est née dernièrement sur l’extension du principe de précaution à la santé. Le principe de précaution pensait d’abord, si vous voulez, dans le rapport à l’environnement. Est-il aussi adapté aux questions de la santé ? Et ces débats arrivent dans le domaine de la bioéthique et indiquent que cette bioéthique a de beaux jours devant elle.

NeM : Les débats portant sur la vie et la mort on toujours été d’actualité. Avec les progrès de la science et notamment dans le génie génétique il y a ceux qui pensent que la science est belle et donc bonne, et ceux qui pensent que elle n’est pas nécessairement bonne. Alors l’homme du XXIème siècle est-il plus sage que celui du siècle de Platon ?

Pr Ali Benmakhlouf : Je ne pense pas qu’il y ait eu un progrès quantitatif ni accumulé de ce que l’on peut appeler la sagesse. En revanche votre premier point : la science bonne et ses applications qui peuvent poser problème, je pense que les applications ne sont qu’une maturation de la science. Et cela rejoint un petit peu ce que je disais tout à l’heure sur la solution scientifique et l’énigmatique, c’est-à-dire que la science résout quelques problèmes mais elles les résout en fonction de nouvelles énigmes. Et quand elle les résout, la maturation d’une décision scientifique ne préjuge pas encore de la décision politique ou éthique compte tenu de cette maturation. Autre point important c’est que la science n’est pas prévisible dans ses effets. C’est-à-dire qu’on ne peut pas précisément dire telle science, telle technique, telle application. Parce qu’il y a des techniques qui se sont révélées inouïes dix ou vingt ans après par rapport à l’usage premier auquel elles étaient destinées. Donc il y a de l’imprévisibilité et nous vivons avec cette imprévisibilité du potentiel scientifique.

Propos recueillis par Williams Vanseveren-Garnier

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