Jacques Peyrat : "la proportionnelle devrait être la règle pour le Parlement"


Suite de l'interview de M. Jacques Peyrat : " Je vous demande de ne pas donner plus de puissance à l'UMP ". Dans cette entrevue, l'ancien sénateur-maire de Nice nous parle des langues régionales, des souvenirs qu'il a conservé de ses prédécesseurs Jean et Jacques Médecin, de son accession à l'Assemblée Nationale... avec la plus grande simplicité. Cette interview a été réalisée le 15 février dernier dans les salons de l'Hôtel Aston où l'Entente Républicaine tenait son assemblée générale.


Nem : Vous pensez que les langues régionales sont menacées ?

Jacques Peyrat : Oui. Vous savez, langue qui n’est plus parlée tombe en désuétude. En Alsace on parle encore l’allemand particulier qui appartient aux alsaciens, on parle encore le breton en Bretagne, un peu le basque dans le Pays-Basque et chez nous, la langue nissart. Ces langues ne sont plus parlées maintenant que dans les campagnes ou par les personnes de mon âge, et quand la jeunesse ne parle plus, c’est parce que l’on ne parle plus dans les familles… Ma femme, qui est niçoise de souche, me racontait que ses parents et notamment ses grands-parents parlaient en niçois, mais qu’on lui interdisait de s’exprimer en niçois. La République était terrible, il fallait imposer la langue française. Je vous vois surpris Monsieur, mais savez-vous qu’en 1914 lorsqu’il y a eu cette mobilisation de plusieurs millions d’hommes qui sont allés au combat et quelques fois côte-à-côte, gens du Nord et gens du Midi, que ces gens ne se comprenaient pas. Les hommes parlaient tous leurs langues, l’auvergnat, le provençal, le chtimi, le nissart, le breton, le basque… Ils ne se comprenaient pas entre eux. Au bout de quatre ans ils se sont mis à se comprendre parce qu’on leur a appris le français, qui est devenue langue véhiculaire. Donc pour imposer le français dans ce pays, il y a eu de la part des instituteurs, les hussards de la République, un travail de fond pour habituer les enfants à quitter, en même temps que leurs sabots, leurs habitudes de « parler domestique », si je puis m’exprimer ainsi, pour pouvoir apprendre le français. Vous voyez que c’est une longue histoire là et Jean Médecin, qui était un homme extraordinaire c’est vrai, avec ce passé militaire dont je vous ai parlé, c’était un héros à l’état pur, cet avocat qu’il était aussi, cette vieille famille Médecin parlait niçois. Son fils Jacques, à son tour, parlait le niçois, mais un niçois moins littéraire que celui de son père, il parlait plus celui du Babazouk (le Vieux-Nice). Ces gens, qui avaient un grand charisme m’ont appris beaucoup de choses. D’ailleurs vous venez me voir là, à l’Entente Républicaine, et vous avez intelligemment compris que l’Entente Républicaine n’est, ni plus ni moins, que le pâle reflet du Rassemblement Républicain que faisaient Jean Médecin et Jacques Médecin son fils.

Nem : Vous avez conservé un bon souvenir de Jacques Médecin ?

Jacques Peyrat : Oui. Oui, mais je ne lui dois pas grand-chose parce que lui quand il est devenu maire à la mort de son papa – et j’y suis pour quelque chose parce que j’ai fait campagne pour lui, respectant le serment que j’avais fait avec son père, quand le temps des six ans se sont écoulés, il n’a pas jugé bon de me reprendre, ses sbires ayant un peu égrené de mauvaises choses à mon sujet, et je n’ai jamais su pourquoi. Et donc je suis revenu après, sans qu’il me demande quoi que se soit, mais en m’imposant, en dirigeant le Front National et en rentrant, avec onze de mes collègues, au Conseil Municipal. Et là, par contre, nous avons entretenu de bons rapports. Nous avons lutté à « fleurets mouchetés » pendant quelques années amusant un petit peu tout le monde et notamment la galerie. Mais j’aimais bien Jacques. C’est vrai j’aimais bien Jacques. D’ailleurs quand il a été incarcéré, à Grenoble, et puis près de Lyon, je suis allé le voir, notamment quand j’ai pensé présenter ma candidature. Et je lui avais demandé ce qu’il en pensait. Et il m’a répondu : « très, très bien et tu seras certainement un bon maire pour la ville de Nice.» Puis je lui ai dit : « Est-ce que tu souhaites que je prenne une personne en particulier sur ma liste qui serait proche de toi ? ». Et il m’avait demandé, avec émotion, de prendre sa seconde fille Anne-Laure, ce que j’ai fait. Ça ne m’a d’ailleurs pas très bien réussi car très rapidement elle s’est détournée de moi. Car l’orgueil des Médecin est considérable ! Mais j’ai fait ce que je devais faire, voilà.

NeM : En 1977, vous avez été l’avocat d’Albert Spaggiari, l’auteur du fameux casse du siècle dernier. Une récente œuvre cinématographique en a été faite : « Sans arme, ni haine, ni violence », en 2007, par Jean-Paul Rouve. Avez-vous vu le film et qu’en avez-vous pensé ?

Jacques Peyrat : Oui. Quand Spaggiari a fait son casse et que sa femme est venue, à mon cabinet, me demander de prendre sa défense, j’étais surpris, car je le connaissais bien, il avait été un ancien parachutiste lui aussi, il avait fait la guerre d’Indochine… J’ai dit : « Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait ? ». Et elle m’a répondu : « Et bien il a fait le casse de Nice. » Et là j’ai dit : « Quoi ? Le casse de Nice ? » Cela avait fait un bruit énorme dans la ville et c’est comme ça que j’ai pris la défense d’Albert. Bon, vous connaissez l’histoire, son incarcération puis son évasion spectaculaire et sa fuite. Et il n’a jamais été retrouvé. Pendant douze ou treize ans il avait eu toutes les polices de France et de Navarre aux trousses et ils n’ont jamais mis la main sur lui. Il est pourtant venu un certain nombre de fois en France, à Paris et même à Nice, me voir dans mon cabinet. Alors dans le film, l’acteur qui représente Spaggiari, s’est totalement identifié à lui. J’ai trouvé là une ressemblance et un jeu de rôle remarquable de cet acteur.

NeM : Vous l’avez rencontré ?

Jacques Peyrat : Oui, bien sur. Au paravent il était venu me voir, comme était venu me voir celui qui avait « les égouts du paradis », et pendant des heures je leur avais expliqué ce qu’ils savaient déjà et ce qu’ils ne savaient pas et notamment sur la personnalité extrêmement riche, sans vilain jeu de mot du fait du casse, d’Albert celui que nous appelions : « Bert ». Alors oui il est venu me voir et je pense que ça lui a servi pour son film, bien sûr.

NeM : En 1986 vous faite votre entée au Palais Bourbon en tant que député du Front National pour les Alpes-Maritimes. Qu’avez-vous éprouvé au moment de votre accession au Parlement ?

Jacques Peyrat : Hé bien je vais vous dire Monsieur. Là j’étais rentré effectivement au Front National en 1984 et élu député, puisque c’était un scrutin à la proportionnelle que le président Mitterrand avait institué, et qui selon moi devrait être la règle pour le Parlement français. Nous étions trente-cinq députés du Front National et cela avait fait du bruit dans « le Landernau ». Ce que j’ai éprouvé ? Hé bien je vais vous dire que, moi qui passait ma vie à parler comme je vous le fais maintenant, mais essentiellement parce que je plaidais un peu partout en France dans les Cours d’Assises, et qui est un exercice difficile et redoutable, je suis resté muet à l’Assemblée Nationale.

NeM : Pour quelles raisons ?

Jacques Peyrat : Terriblement impressionné. J’avais le sentiment que je n’étais pas à la hauteur de ceux qui m’avaient précédé, de tous ces grands noms de l’histoire parlementaire.

NeM : Vous pensiez à qui à ce moment là ?

Jacques Peyrat : A tous ces grands députés qui ont fait parler d’eux, comme à Raymond Poincaré, Georges Clémenceau « le Tigre », à Augustin Tardieu… enfin à tous ceux qui ont émaillé, qui ont fait la vie parlementaire, le parlementarisme de la troisième République. Et j’étais là et voilà… je n’osais pas prendre la parole. Et un jour le président de mon groupe m’a dit : « T’es avocat ou t’es pas avocat ? Alors si tu es avocat, tu vas prendre la parole ! » Et j’ai pris la parole pour la première fois sur un sujet que je connaissais bien, puisque j’étais le rapporteur du budget du soutien des forces de la Défense Nationale et des Forces Armées, et là, j’ai pris le « boc » de ma vie. J’ai pris le « boc » de ma vie parce que montant à la tribune, je salue, comme on le fait, le Président de l’Assemblée ; je m’incline devant le Premier Ministre qui était Jacques Chirac, et je commence : « Si nous sommes impuissants … » et je laisse tomber ma voix, comme des effets oratoires devant une Cour d’Assise. Sauf qu’à une Cour d’Assise on se tait et on écoute. Mais l’Assemblée n’est comme ça ! Et quand j’ai laissé tomber ma voix les lazzi ont fusés : « Mais si t’es impuissant, nous on ne l’est pas ! » Disait la Gauche, bien sûr. Et mon professeur d’Histoire du lycée Masséna, n’écoutant que son courage, Charles Ehrmann, s’est levé et à dit : « Mais laissez-le tranquille. Il était mon élève ». Et un socialiste lui à répondu : « Mais alors c’est à cause de toi qu’il est devenu impuissant… » (Rires) Je ne savais plus où me mettre et même mes copains rigolaient, tout le monde rigolait bien sûr, les huissiers rigolaient, les fonctionnaires rigolaient, les députés et le public rigolaient… Et puis j’ai repris courageusement : « Si nous sommes impuissants à juguler la montée de… » et puis hop là c’était parti. Voilà j’ai appris là à mes dépends comment on s’exprimait devant l’Assemblée Nationale.

Propos recueillis par Williams Vanseveren-Garnier

Notes de l'auteur : la troisième partie de l'interview sera consacrée à l'accession de Jacques Peyrat à la mairie de Nice en 1995 et à sa réélection, aux affaires qui ont entaché son second mandat, aux prochaines élections régionales, à l'actuel projet de la ligne 2 du tramway... Celle-ci sera diffusée la semaine prochaine.

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