Jean-Louis Bianco : "Si j'étais Président..."

A quelques mois des primaires du Parti Socialiste l’ancien secrétaire général de l’Elysée auprès du président Mitterrand sillonne le pays pour "construire avec d’autres une vision nouvelle pour la France et pour l’Europe". Nice en Mouvement est allé à sa rencontre. Librement, sans langue de bois et avec une simplicité qui lui est propre, celui qui fut ministre des Affaires sociales et de l’intégration, puis ministre de l’Equipement, du Logement et des Transports se présente aux français à travers une série d’entretiens réalisés en collaboration avec la journaliste Sylvie Turillon-Manuel en apportant un regard critique et constructif sur la société française et un socialisme réinventé.

NeM : Jean-Louis Bianco bonjour, vous étiez durant neuf ans secrétaire général de l'Elysée auprès du président François Mitterrand. Quels souvenirs conservez-vous de cette période ?

Jean-Louis Bianco : Des souvenirs extraordinaires parce que je crois que c'est une chance inouïe d'avoir été aux côtés de l'un des plus grands hommes de l'histoire de France. J'ai été le plus jeune à ce poste et je suis jusqu'ici celui qui est resté le plus longtemps, et j'ai choisi d'ailleurs à l'époque de ne pas rentrer au gouvernement parce que je voulais continuer à travailler avec François Mitterrand alors que j'aurais pu rentrer plus tôt au gouvernement. Ce que je garde de lui c'est une sérénité extraordinaire. Un calme qui contraste sans nul doute avec notre actuel président. Une capacité à ne jamais se précipiter. D'ailleurs il avait cette très belle formule : "il faut laisser du temps au temps". Alors nous sommes dans une autre époque et je suis d'accord qu'aujourd'hui les choses vont vite, qu'il faut aller vite et que c'est normal que le président de la République soit dans un autre style que De Gaulle, Mitterrand ou Chirac. Mais je trouve que "savoir donner du temps" au lieu d'être toujours dans la vitesse et l'accélération est quelque chose qui est vrai aujourd'hui et pas seulement dans les années quatre-vingt. Puis il avait aussi une autre formule que j'apprécie et que j'essaie de pratiquer, il avait dit : "le socialisme n'est pas une chose figée dans des bandelettes" (sourires). Donc je pense qu'il faut enlever des bandelettes si l'on veut montrer aux français - qui d'ailleurs ne croient plus beaucoup dans la politique - qu'il y a une alternative à la politique actuelle.

NeM : "Si j'étais président... Que faire en 2012 ?" c'est le titre de votre livre publié chez Albin Michel et que vous nous présentez aujourd'hui. C'est un titre annonciateur, alors êtes-vous l'une de ces alternatives à la politique actuelle ?

Jean-Louis Bianco : Au départ je veux surtout contribuer à des idées. Je veux surtout que l'on puisse avoir quatre ou cinq, mais pas cinquante, idées fortes, lisibles, compréhensibles. Mais dans notre système politique, pour porter des idées il faut aussi dire que l'on n'exclue pas d'être candidat. Donc je ne l'exclue pas (sourires). Ce n'est pas une fin en soi, je ne me suis pas réveillé un beau matin en me disant il faut que je sois candidat et président de la République. Ce que j'espère c'est que mes idées vont être prises en compte. Je ne prétends pas avoir la science infuse et avoir raison sur tout. Qu’elles vont contribuer à faire progresser le parti socialiste, qui va mieux et qui est unitaire. Le candidat ou la candidate qui sera choisi se les appropriera. Mais si ce n'était pas le cas et bien je serais prêt à aller, en tout cas, jusqu'aux primaires socialistes qui auront lieux au mois de juin.

NeM : Près de deux millions de français ont manifesté le 7 septembre dernier contre le projet de réforme de retraite du gouvernement. Le Président de la République s'est exprimé hier soir, pensez-vous qu'il a su leur répondre ?

Jean-Louis Bianco : Malheureusement non, mais il avait dit qu'il ne toucherait pas au cœur de la réforme et de ce point de vue il n'a pris personne en traitre. Il n'a fait que des concessions très mineures même sur une question comme la pénibilité. C'est-à-dire avoir des droits, peut-être à partir plus tôt quand on a exercé des métiers pénibles. Et il n'a pas répondu à la question. Il faut avoir un certificat médical pour passer devant une commission. Donc ce n'est pas la retraite, mais c'est une question de handicap, alors que l'on sait très bien que des travailleurs qui, par exemple, exercent les trois huit, qui ont des charges lourdes, qui sont exposés à des substances toxiques toute leur vie n'ont pas forcément de handicap, mais ils ont une usure. Et l'on voit que lorsqu'ils ont fini leur carrière ils vivent moins longtemps que d'autres qui ont exercé des métiers moins pénibles. Et c'est cela qu'il faudrait prendre en compte réellement : la situation d'usure liée à un métier difficile et non la situation de handicap, et malheureusement là-dessus il n'a pas vraiment avancé.

NeM : Vous avez été ministre des Affaires Sociales. Si vous aviez porté une réforme sur le système de retraite, quelle réforme auriez-vous défendue ? Mais d'abord est-ce qu'il faut réformer notre système de retraite ?

Jean-Louis Bianco : Oui évidemment il faut réformer notre système de retraite et là-dessus personne de bon sens ne peut dire le contraire pour une raison très simple c'est que la durée de vie s'allonge et qu'il y a de plus en plus de retraités et pas forcément plus d'actifs et il faut bien financer nos retraites. Là ou j'ai un désaccord central avec le gouvernement et Nicolas Sarkozy c'est que précisément pour pouvoir financer les retraites, la première clé c'est qu'il y ait plus de gens qui puissent travailler. Donc la première clé d'une réforme - et c'est ce que disent au-delà de moi les socialistes - c'est qu'il faut faire en sorte que les jeunes ne fassent pas toutes leurs années dans des stages - qui d'ailleurs ne sont pas toujours rémunérés -, dans des petits boulots, la précarité, l'intérim ou au mieux dans des contrats à durées déterminées. Il faut donc ouvrir une négociation pour qu'ils aient de vrais contrats de travail, et même si c'est en stage il faut qu'ils soient rémunérés pour qu'ils commencent à avoir des droits à la retraite. Et puis à l'autre bout de l'échelle, nous sommes le seul pays en Europe où l'on jette les plus de cinquante-cinq ans et même les plus de cinquante ans. Et nous sommes le pays d'Europe, dans les grands pays en tous cas, où il y a le moins de personnes de plus de cinquante-cinq ans, voir cinquante, qui travaillent. C'est pourtant pas difficile de dire que se sont des gens qui peuvent évoluer, qui peuvent dire bon "j'ai envie de lever un peu le pied et je vais faire un mi-temps ou un trois-quarts temps et je vais former un jeune". Donc la clé du problème elle est au deux bouts de l'échelle des âges avec plus de jeunes qui travaillent en étant rémunérés en leur ouvrant des droits à la retraite et plus d'anciens qui travaillent. Car en repoussant l'âge de la retraite on va simplement faire que des gens resteront chômeurs plus longtemps avant de pouvoir faire valoir leurs droits à la retraite. Et puis le deuxième point c'est que bien sûr il faut demander un effort à tout le monde et sans augmenter les cotisations ou la durée des cotisations mais il faut demander aussi un effort au profit, au capital, à l'argent que gagne les banques. On ne peut pas faire l'effort sur les seuls salariés et retraités. Donc il faut une réforme financièrement équilibrée et qui parte du problème de base qui est qu'il y a trop de chômage, pas assez de jeunes et de personnes âgées au travail.

NeM : Vous pensez que le partage du temps de travail est toujours d'actualité ?

Jean-Louis Bianco : Moi je le crois. Le gouvernement n'arrête pas de dire que si la France va mal c'est la faute aux 35 heures, ce que je sais c'est que les gens qui sont passés aux 35 heures sont généralement contents parce qu'ils ont une vie un peu plus facile tout en gardant à peu près leurs salaires même si cela s'est payé parfois d'intensification des conditions de travail et parfois une hausse du salaire extrêmement faible pour ne pas dire nulle. Les entreprises qui sont passées aux 35 heures ont généralement tiré plus tôt un bilan positif et donc je considère que cette attitude qui consiste à dire que tous les maux de la France viennent des 35 heures n'est pas sérieuse. Et je l'ai dit au Premier Ministre, si c'est la catastrophe à cause des 35 heures, la Droite est au pouvoir depuis 2002, nous sommes en 2010, cela fait huit ans pourquoi ne les avez-vous pas supprimées ? Alors est-ce qu'on peut aller au-delà ? Je crois qu'il faut continuer à avoir des souplesses dans le temps de travail mais dans tous les sens. On peut avoir des périodes comme dans les métiers saisonniers où il faut travailler plus, on peut avoir des gens qui souhaitent travailler plus pour construire un logement par exemple, on peut avoir des gens qui au contraire de par leurs salaires pourraient souhaiter la semaine des quatre jours... Moi je pense qu'il faut surtout avoir de la souplesse et ne pas avoir de système fixe.

NeM : A l’heure où l’on ressent dans le pays une certaine dérive extrémiste, qu’est-ce qu’être français aujourd’hui et qu’est-ce qu’être socialiste ?

Jean-Louis Bianco : On ressent à la fois une dérive extrémiste et des tensions très fortes dans notre société. Les français sont opposés les uns aux autres par ce gouvernement et les tensions s’exacerbent. Le fait de ne pas répondre aux revendications sur la retraite fait que les gens vont être de plus en plus exaspérés. C’est très dangereux pour l’équilibre d’une société. Et le scandale qui consiste à dire que l’insécurité en France, ou de laisser croire, que c’est la faute des Roms et qu’il faut les renvoyer est une autre dérive. Il ya des Roms qui posent problème quand ils s’installent n’importe où parce qu’ils peuvent gêner la vie des gens, mais les assassinats de policiers ce n’est pas les Roms. Les kalachnikovs dans les banlieues ce n’est pas les Roms…. Là on dresse simplement les gens les uns contre les autres. Et je crois qu’être français aujourd’hui, comme hier, c’est d’abord assumer d’être héritier d’une Histoire. Et que l’on soit français depuis dix générations ou que l’on vienne d’acquérir la nationalité française : parce qu’on ne sait qui l’on est que quand on sait d’où l’on vient. Et on vient collectivement de la France. Moi, mes quatre grands-parents étaient étrangers et je me sens à la fois européen et français. Donc il faut savoir et il faut assumer les très bons côtés comme les côtés négatifs. Et puis être français c’est vouloir vivre ensemble et partager un certain nombre de valeurs comme la laïcité. On est libre de croire ou de ne pas croire. On est libre de pratiquer sa religion mais la religion n’impose pas de règles dans la vie publique. Et puis être français, pour moi, c’est aussi avoir une notion de la solidarité.

Pour répondre à votre deuxième question "qu’est-ce qu’être socialiste aujourd’hui", pour moi en tous cas et je ne ferai pas une définition abstraite ou générale, ma motivation pour être socialiste c’est avant tout avoir un sentiment de révolte. J’étais révolté à quinze ans et je le suis encore aujourd’hui devant les injustices et l’inégalité parce que c’est insupportable. Et être socialiste c’est croire que l’on peut changer cela, que l’on peut faire un monde où il y ait moins d’inégalités et d’injustice, et où les gens se sentent mieux ensemble. Et c’est proposer, d’où mon livre, des idées pour y arriver. Pour faire en sorte que des gens qui sont aujourd’hui désespérés, qui ne croient plus dans la politique et qui ne croient pas forcément que la Gauche ferait mieux que la Droite, recommencent à croire à un changement possible. Et être socialiste c’est être aussi porteur de ce changement, pas tout seul, avec d’autres, mais notamment nous.

Propos recueillis par Williams Vanseveren-Garnier